Alors que la santé mentale a été érigée en grande cause nationale en 2025, évoquons l’addiction souvent cause ou effet de notre santé mentale.
Quand on évoque le lien entre addiction et santé mentale, comment ne pas citer Michel Reynaud, qui écrivait en 2009 dans la revue l’Information Psychiatrique :
« Bien que les addictions soient désormais reconnues comme un trouble des passions, cela ne devrait pas nous empêcher de célébrer un mariage de raison. Les addictions et les troubles mentaux ont, en effet, tellement d’interactions que la psychiatrie et l’addictologie doivent désormais convoler en justes noces, avec un contrat clair précisant leurs droits et devoirs respectifs. » Je ne peux que vous conseiller de lire cet article qui m’a, je l’avoue, grandement inspiré pour écrire cet article.
Une parenthèse sémantique :
Il est à noter différents comportements de consommation. Lorsqu’une consommation de substances psychoactives n’entraîne ni complications pour la santé, ni troubles du comportement entraînant des conséquences nocives pour soi ou pour autrui, nous pourrons parler d’usage simple. Lorsqu’une consommation régulière se voit avoir un retentissement sur les activités, les relations et la vie personnelle, nous parlerons alors d’usage nocif ou d’abus.
Lorsque la situation dans laquelle se trouve la personne qui ne peut plus se passer du produit sans ressentir un manque physique et/ou psychique, il s’agira de dépendance. Celle-ci peut s’installer de façon brutale ou progressive, en fonction de l’individu et du produit consommé. La dépendance psychique entraînera une sensation de malaise, d’angoisse allant parfois jusqu’à la dépression. La dépendance physique engendrera un état de manque se traduisant par des symptômes physiques à type de douleurs, de tremblements, d’hypersudation, de crampes voir de crises convulsives ou d’épisodes d’hallucinations. Nous y voyons le lien entre addiction et santé mentale.
Qu’est qu’une addiction ?
Bien que le consensus ne se fasse pas, on peut considérer d’un point de vue scientifique et médical, et selon la définition de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), que les addictions sont des pathologies mentales définies par une dépendance à une substance psycho-active ou à un comportement, avec des conséquences délétères pouvant être physiques et/ou psychiques. L
Les conduites addictives sont des pathologies de l’agir dans lesquelles la mise en acte au niveau du comportement et du corps prend la place d’une élaboration psychique impossible mais également d’un dire indicible.
Il est à noter différentes conduites dans les troubles addictifs :
Les dépendances avec substances : L’alcool, le tabac, le cannabis, les opiacés tels que l’héroïne et ses substituts, la cocaïne et le crack, les méthamphétamines, la MDMA/ecstasy, les hallucinogènes synthétiques (kétamine, LSD, etc…), les hallucinogènes naturels comme les champignons, le poppers, le GHB et pour finir, les traitements psychoactifs également appelés les psychotropes pour les plus importants.
Les dépendances comportementales : les achats compulsifs, les jeux, les écrans, le sexe, l’exercice physique, le bronzage, les troubles du comportements alimentaires pour les plus connus.
Comment diagnostiquer une addiction ?
Soulignons donc que l’addiction se caractérise par l’impossibilité de contrôler un comportement, qu’elle est de l’ordre de la compulsion récurrente. Ce qui induit une répétition comportementale en dépit de possibles conséquences négatives, de facteurs de risques de mésusages somatiques et de risques judiciaires quant à l’usage de toxiques illicites.
Le diagnostic de l’addiction repose sur des critères bien définis. Deux classifications ont été créées : Le Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders (DSM 5) créé par l’American Psychiatric Association et la Classification Statistique internationale des maladies et des problèmes de santé (CIM-11), créée par l’Organisation Mondiale de la Santé.
Les 11 critères diagnostics du DSM V (2013) de l’American Psychiatric Association
- Le besoin impérieux et irrépressible de consommer la substance ou de jouer.
- La perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié à la prise de substance ou au jeu.
- Le temps important consacré à la recherche de substances ou au jeu.
- L’augmentation de la tolérance au produit addictif.
- La présence d’un syndrome de sevrage, c’est-à-dire de l’ensemble des symptômes provoqués par l’arrêt brutal de la consommation ou du jeu.
- L’incapacité de remplir des obligations importantes.
- L’usage, même lorsqu’il y a un risque physique.
- Les problèmes personnels ou sociaux.
- Le désir ou les efforts persistants pour diminuer les doses ou l’activité.
- Les activités réduites au profit de la consommation ou du jeu.
- La poursuite de la consommation malgré les dégâts physiques ou psychologiques.
Ces critères permettent de caractériser le degré d’addiction :
2 à 3 critères : addiction faible
4 à 5 critères : addiction modérée
plus de 6 critères : addiction sévère
Les 6 critères de la dépendance de la Classification Statistique internationale des maladies de l’OMS (CIM 10)
- Le désir puissant ou compulsif d’utiliser une substance psychoactive
- Les difficultés à contrôler l’utilisation de la substance (début ou interruption de la consommation ou niveaux d’utilisation)
- Un syndrome de sevrage physiologique quand le sujet diminue ou arrête la consommation d’une substance psychoactive, comme en témoignent la survenue d’un syndrome de sevrage caractéristique de la substance ou l’utilisation de la même substance (ou d’une substance apparentée) pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage
- La mise en évidence d’une tolérance aux effets de la substance psychoactive : le sujet a besoin d’une quantité plus importante de la substance pour obtenir l’effet désiré
- L’abandon progressif d’autres sources de plaisir et d’intérêts au profit de l’utilisation de la substance psychoactive, et augmentation du temps passé à se procurer la substance, la consommer, ou récupérer de ses effets
- La poursuite de la consommation de la substance malgré ces conséquences manifestement nocives. On doit s’efforcer de préciser si le sujet était au courant, ou s’il aurait dû être au courant, de la nature et de la gravité des conséquences nocives
Pour faire ce diagnostic, au moins 3 des manifestations doivent avoir été présentes en même temps, au cours de la dernière année.
Addiction et santé mentale
Le lien entre addictions et santé est une évidence avec la prise addictive de substances, mais cet état de fait est-il transposable à la santé mentale ?
Les substances psychoactives agissent sur le système cérébral, l’envahissent et modifient son fonctionnement. Le cerveau subit ainsi des perturbations complexes de ses mécanismes, entrainant une perte de contrôle du comportement, une euphorie, une désinhibition ou une diminution du stress.
Les premières conséquences d’une addiction sont souvent immédiates, elles revêtent un risque vital comme une overdose, mais aussi à moyen et long terme, médical et sociétal.
La conduite addictive et la pathologie mentale sont souvent liées mais la cooccurrence pose la question de la primauté de l’une sur l’autre. Les troubles le plus souvent associés aux addictions, selon de nombreuses études, sont les pathologies dépressives, les troubles bipolaires et notamment la manie, les pathologies anxieuses (trouble panique, anxiété sociale en particulier), la schizophrénie et enfin certains troubles de la personnalité.
Nous pouvons bien sûr différencier la dépendance aux substances des addictions purement comportementales, mais il parait évident de considérer que ce sont des pathologies avec des conséquences délétères dans les 2 cas, mettant en fonctionnement des mécanismes neurobiologiques et psychologiques similaires.
Les addictions représentent aujourd’hui une grave question de santé publique. Elles s’avèrent être éminemment transdisciplinaires ce qui requiert un accompagnement par de nombreuses spécialités médicales, paramédicales ainsi que l’intervention de travailleurs sociaux tels que des éducateurs ou des assistantes sociales.
Conclusion
Avant de conclure, rappelons « qu’un regroupement des pratiques, des moyens et des lieux de soins s’est opéré au fil de ces dernières années autour de l’addiction. Ainsi l’addictologie s’est constituée en discipline nouvelle s’intéressant à l’ensemble des aspects cliniques, biologiques, socioculturels et thérapeutiques des conduites addictives. » (Michel Lejoyeux)
Donc n’hésitez pas pour vous ou votre entourage à solliciter des professionnels qualifiés qui sauront être à votre écoute.
En dernier lieu, après avoir cité Michel Reynaud en introduction, telle une épanadiplose, je le citerai en conclusion :
« Enfin, le rapprochement entre la libido passionnelle, voire « toxique », et les addictions, se trouve être corroboré par la similitude clinique et neurobiologique entre états passionnels amoureux ou d’attachement et ceux relevant de l’addiction.
L’addiction apparaît lorsque la sensation remplace l’émotion, la relation et la symbolisation.
L’addiction apparaît lorsque le besoin l’emporte sur le désir et la demande.
L’addiction apparaît lorsqu’un objet envahit très majoritairement le champ des plaisirs possibles et devient la stratégie prioritaire et impérieuse pour obtenir du plaisir ou apaiser une tension.
L’addiction apparaît lorsque la passion l’emporte sur la raison. »